résumé« Très bien, Jake Jones, première visite après ta sortie du centre, il y a une semaine, comment te sens-tu ? » « Bien. » « Parfait, on commence par le plus simple ? Tu connais l'exercice. » « Je m'appelle Jake Jones, mon frère est mort sous mes yeux, j'ai pété les plombs, j'ai tué trois personnes et j'en ai rendu une tétraplégique, ma mère s'est suicidée par ma faute et on m'a interné en HP car j'étais mentalement instable et schizophrène. » « Parfait, maintenant tu approfondis, tu me racontes tout depuis le début jusqu'à aujourd'hui, je dois vérifier si tu arrives à parler de tout ça librement et sans crise. »
« CHAPITRE UN, mon frère. »
Je me rappelle encore de cette matinée. Tout était normal, cette routine, cette merde qui m'était montée jusqu'au cou. Je souriais à ma mère, j'embrassais mon père. Le bol de céréales sur le rebord de la table, les toasts de ma mère sur le bar, on avait l'air d'une petite famille parfaite, comme dans ces putains de feuilletons américains de mes couilles. Mais il y avait lui, lui et ses cheveux en arrière, lui et son perçing au nez, lui et son air insolent. J'ai toujours rêvé d'être comme mon frère, ce rebelle, complètement égocentrique, nombriliste, mais que tout le monde le respectait, contrairement à moi qui passait pour le minable de la classe qui enfile des chaussettes de différentes couleurs. Si mon frère n'avait pas été Josh Jones, j'aurais été le souffre douleur de tout le lycée, mais on avait peur de lui, on le craignait, on le rejetait. Il n'avait aucun ami, pas de petite copine, c'était un solitaire né. La seule raison pour laquelle Josh était encore à la maison était qu'il n'avait pas encore assez de fric pour se barrer loin. On était proches tous les deux, malgré nos différences et malgré le fait que je sois le chéri des parents, il me confiait tout. Je lui étais fidèle, je l'admirais, vraiment. Il passa dans la cuisine et arracha le toast que ma mère allait avaler, elle ne dit rien, elle ne disait jamais rien quand il s'agissait de Josh, elle avait peur de lui, elle a tout le temps eu peur de lui. Mon père l'ignore délibérément, il vient à côté de moi et me décoiffe,
« Tu viens faire des p'tites courses avec moi frérot ? » il avait dit ça avec sa voix étrangement calme, il était trop calme. Mais moi, j'étais tout excité, un soir, il m'avait révélé qu'il faisait du trafic de drogue, qu'il était dealer, pour gagner assez d'argent et partir en Russie, c'est son rêve de partir en Russie, je lui avait demandé de m'amener un de ses jours pour voir comment ça se passait et tout, il avait refusé, mais avait apparemment changé d'avis et j'en jouissais d'avance.
« Ton frère doit aller en cours Josh. », mon père n'avait pas décollé son nez de son journal, il but une gorgée de son café trop amer.
« Va baiser ta femme et lâche-moi. », c'était la réplique favorite de Josh, il l'utilisait tout le temps quand mon père lui faisait une remarque.
Une matinée comme les autres, ou presque. Il m'a emmené dans une ruelle sombre, au point de rendez-vous.
« Tu rentres dans cette baraque et tu regardes par la fenêtre. Tu ne sors pas. », la baraque était en fait un HLM abandonné, il m'attrapa par le bras
« Tu ne sors sous aucun prétexte compris ? Aucun. », je lui promis des yeux puis entra dans le hall délabré. Je me mis à genoux derrière la fenêtre, mon frère était à peine à 5 mètres devant moi. Alors que je m'attendais à voir un lycéen quelconque demander de la beuh à mon frère, un groupe de 5 personnes apparut à l'entrée de la ruelle, quatre garçons et une fille. L'adrénaline me déchira le ventre lorsque j'aperçus leur batte de base-ball. Mon frère avait l'air tout aussi surpris que moi.
« Alors Joshjoooooooooooooones, t'as cru pouvoir te cacher longtemps sale bite de mes couilles ? », mon frère adopta une attitude calme, main dans les poches alors que les quatre garçons l'entouraient.
« Comment tu m'as retrouvé Antooooooooooooonio ? », un des mecs avec ses bras remplis de tatouages ricana
« Connard, j'ai des sources sûres moi. Bon, tu connais le deal, pas d'fric, pas d'vie. T'as le fric ? », alors que j'avais une forte envie de vomir, la peur tenaillait mes entrailles, Josh, lui, avait l'air plutôt calme.
« Non, j'ai pas ton fric. », j'avais envie de hurler qu'il s'en aille. Le mec au bras tatoué ricana d'un air mauvais
« Alors c'est la vie enculé. ». Et c'était des images, comme dans un cauchemar, comme si mon cerveau ne voulait pas enregistrer ce qu'il se passait devant moi. Les quatre mecs le bâtèrent, lui foutant des coups violents, d'une violence inimaginable. Et mon frère qui ne criait même pas, était-il mort ? Et moi qui criait de l'intérieur et moi qui hurlait dans ma tête que ça s'arrête, des larmes coulèrent sur mes joues, je lui avais promis, putain je lui avais promis de rester dans cette baraque, alors qu'il était en train de se faire tuer sous mes yeux, bordel, j'étais impuissant, et je chialais comme un gamin, j'faisais pitié. Et ils arrêtèrent en même temps. Mon frère était allongé, le corps entier ensanglanté, je ne le voyais même plus respirer, il était mort. Le mec aux bras tatoués se tourna vers la fille,
« Jules, il y a un bidon d'essence là-dans, va le chercher. », il montra du menton l'endroit où j'étais. Je m'écroulai sous l'impuissance, je n'étais qu'un merdeux, qu'un putain de bon fils de mes couilles, et j'allais crever. La fille arriva dans le hall, je m'étais replié dans un coin, chialant comme une merde. Elle me regarda, je la regardais, elle était plutôt mignonne, avec son chapeau sur la tête, mais à vrai dire j'en avais rien à foutre. Elle me regarda comme si j'étais une paire de chaussette abandonnée. Elle passa à côté de moi et souleva le bidon avant de disparaître. Elle n'avait pas signalé ma présence aux autres, pourquoi ? Je m'en foutais, je lui en voulais presque, peut-être que mort, j'aurais été plus heureux. Alors j'entendis le bruit des flammes, et mes larmes se remirent à couler, je n'avais pas la force de regarder. Quelques minutes plus tard, la bande était partie, dehors, il y avait une odeur de chair brûlée, le corps de mon frère inerte, méconnaissable, gisait sur le sol tel un déchet de la société.
« CHAPITRE DEUX, ma mère. »
Deux mois, trois mois ? Je sais plus. Le calme dans la maison m’oppresse. Josh n'est plus là. C'est trop dur. J'ai même pas eu le putain de courage d'aller à son enterrement, parce qu'il n'est pas mort, non, il est toujours là, c'est sur, je le sens, il est là quelque part sans l'être vraiment. Mes parents veulent que je reprenne le lycée, mais je ne veux pas voir toutes ces têtes de bites, avec leur putain de regard désolé. Ils me diront que mon frère était un mec bien, mais ce n'est pas le cas, Josh était tout sauf un mec bien. Assis sur son lit, j'ai regardé sa chambre de fond en comble, des couteaux, un sachet avec de la coke dedans, des magasines pornos, rien de très bandant pour l'instant. Ma mère rentre dans la chambre, elle sursaute en me voyant. Elle me donne envie de vomir, de gerber, avec sa tête de bonne femme, elle n'a rien foutu de sa vie, c'est qu'une putain de ratée, j'aimerais lui crier à la gueule qu'elle m'a toujours fait chier comme pas possible, qu'au fond j'en avais rien à foutre de ses discours à la con lors des dîners du soir, qu'elle est ennuyeuse à en crever la bouche ouverte. Elle me sourit, je trouve qu'elle sourit trop pour une mère qui a perdu un de ses fils, c'est limite si elle est pas plus heureuse comme ça, sale chienne.
« Mon petit chaton, ne reste pas dans le noir veux-tu, tu vas nous faire une dépression oh ! », et sa voix aiguë qui me crie dans les oreilles, j'aimerais lui couper la gorge pour qu'elle arrête de parler. Elle ouvre les stores et les fenêtres, commence à ramasser un pantalon par terre.
« Tu fais quoi là ? », elle se redresse et me sourit à pleines dents comme une idiote. « Et bien je range mon petit lapin ! », lapin vert de tes fesses sale conne.
« Non, ne touches à rien. », elle se tourne vers moi, son sourire se fait plus inquiet.
« Enfin pourquoi mon petit... » « Ferme ta putain de gueule et arrête de toucher aux affaires de Josh BORDEL ! ». Son visage se décomposa. Je me levai et plantai mes yeux dans les siens
« Je veux que tu fermes ta gueule, que tu me laisses tranquille et que tu foutes le camp de cette chambre, compris ? ». Ma mère hocha timidement la tête, sa bouche formait une grimace. Elle me tourna le dos et s'en alla sans rien dire.
Mes relations avec ma mère ont radicalement changé depuis la mort de mon frère. Je ne m'étais jamais rendu compte que je pouvais exercer une certaine pression sur elle, faisant ce que je voulais de cette personne, je me sentais puissant, grand, fort, comme si peu de choses pouvaient m'atteindre, je jouissais de mon nouveau pouvoir.
« CHAPITRE TROIS, mon père. »
Le jour de mes 15 ans. Il était prévu qu'on fasse un putain d'anniversaire avec ma putain de famille et mes putains de cousins germains de mes couilles. Mais j'ai demandé à ma mère d'annuler alors qu'elle était en train de préparer le gâteau d'anniversaire. Elle opina du chef. Je n'étais pas surpris, je n'étais plus surpris par ses réactions, elle était devenue une sorte de robot programmé par moi, mon objet, ma chose.
Je sortais de la salle de bain, j'avais encore la tête dans l'cul. Mon père déboula comme une furie de la chambre familiale
« Pourquoi tu as annulé ton anniversaire ? Ta mère avait TOUT préparé ! », je baillai, j'en avais strictement rien à foutre que ma mère s'était cassé le cul à tout faire.
« Et alors ? » « Et alors on n'annule pas ! », un soupir, je craquais mes doigts sous le regard furieux de mon père.
« Va baiser ta femme et lâche-moi. », je ne sais pas si c'était le manque de sexe ou le fait que cette phrase était toujours prononcée par mon frère, mais le poing de mon père vint s'écraser sur mon nez. Je fus déstabilisé un instant. Il me plaqua contre le mur du couloir et me hurla aux oreilles
« NE DEVIENS PAS COMME TON FRERE BORDEL ! », et voilà que mon père jurait maintenant, j'en ris, je riais de plaisir à le voir comme ça. Il me secoua, cogna ma tête contre le mur, il était furieux, hors de lui, c'était la première fois que je le voyais comme ça. Il me claqua la joue pour que j'arrête de rire, mais je ne pouvais plus me retenir. Entre deux sanglots de rire
« Mais il est là, Josh sera toujours là. », et paf, un autre pain dans la gueule. Il me laissa tomber sur la moquette, mon sang gicla dessus. Je riais toujours, j'étais fou dans ma tête mais la douleur physique ne me faisait même plus mal, je n'avais plus mal, j'étais puissant. Ma mère accourut vers moi, un chiffon à la main, jurant sur mon père, disant qu'il était idiot, un salaud de cogner son fils, j'en ris plus fort. Je ne vis pas mon père durant deux jours, il était parti je ne sais où, mais il était vite revenu. Nos relations n'avaient pas tellement changé, j'avais l'impression que j'étais devenu Josh à ses yeux, que son petit fils chéri était mort, et j'aimais ça, j'en bandais.
« CHAPITRE QUATRE, ma folie. »
La sonnerie de mon téléphone sonne. Je reçois un message de Tom. Il me dit qu'ils sont sur le parking devant le super-marché. Je me lève de mon lit, tout s’enclenche dans ma tête, je dois faire un choix, il est fait, il est fait depuis bien longtemps maintenant. J'ouvre mon placard et en tire un fusil de chasse qui appartenait à mon grand-père, Josh l'avait conservé sous son lit. Je le charge et descend les escaliers, mes parents sont dans le salon, ils ne font pas attention à moi. Et si mon père avait tourné la tête dans ma direction ? J'aurais fait tout ça ? M'aurait-il retenu ? Peu importe. Je passe la porte d'entrée, le voisin qui fait je ne sais quoi dans son jardin tourne la tête vers moi. Il a pris peur il me semble, car il se rue à l'intérieur de chez lui. Je ne prends pas la voiture, le parking est à deux rues de chez moi. Je marche, calme, comme Josh l'était. Les passants changent de trottoir quand ils m’aperçoivent, ils ont peur, et j'en jouis. J'arrive sur le parking et vois au loin la bande des quatre mecs, je les reconnais, particulièrement celui avec les bras tatoué. Je rêvais de ce jour, on ne les avait pas revus depuis la mort de mon frère, mais apparemment, au bout d'un an, la ville a dû leur manquer. Peu importe, ils étaient là, c'était le principal. Je m'avance d'un pas décidé vers eux, je vise sans m'arrêter de marcher un des mecs avec une grosse barbe noire, je lui explose la tête. Son corps tombe à la renverse. Les trois autres mecs se retournent dans tous les sens, l'un d'eux a reçu des bouts de cervelle du mort, il commence à crier, alors je lui tire dans la gorge. Il tombe, il est encore vivant mais s'étouffe avec le sang qui rentre dans ses poumons. Je me rapproche d'eux, il reste le mec avec les tatouage et l'autre avec le crâne rasé. Ils m’aperçoivent et tirent de leurs poches un cran d'arrêt. Je souris en arrivant à leur hauteur et tire une balle entre les deux yeux du chauve qui allait sauter sur moi.
« Putain c'quoi ce bordel ? », le tatoué commence à paniquer
« Mais t'es qui bordel ?! », il se colle à sa voiture, regardant d'un œil inquiet le fusil dans mes mains. Puis j'entends un cri, on se retourne tous les deux. Je la reconnais, c'est la fille du bidon d'essence. Elle a un sac en plastique dans la main, et se couvre la bouche de l'autre. Ce moment d’inattention a faillit me coûter cher. Le mec me saute dessus pour essayer de m'arracher mon fusil des mains. Je lui porte un violent coup au visage, il s'étale par terre, face contre terre. Alors la rage m’atteint, c'est lui qui a tué mon frère. Avec la crosse de mon fusil, de lui donne de violents coups sur le dos, il crie de souffrance et hurle lorsque qu'un sinistre craquement se fait entendre. Il ne bouge plus et la fille le rejoint, en pleurs.
« Je sens plus mes jambes et mes bras Jules, je sens plus rien merde.... », il pleure comme un gamin. La fille caresse la tête de l'homme.
« ça va aller, ça va aller. » Puis elle se retourne vers moi, les yeux me tuant du regard
« C'EST QUOI TON PROBLEME ? », elle se relève et recule de quelques pas, des larmes coulent sur ses joues. Je place mon fusil vers elle, elle ne réagit pas, mais je vois qu'elle a peur. Au moment où je m’apprête à tirer, elle ouvre la bouche
« Mais j'te reconnais toi... », elle a du mal à parler à cause des sanglots. Elle m'a reconnu.
« T'es le mec qui était en train de chialer comme un bébé, t'avais perdu ta mère ce jour là ou quoi ? », elle ricana. J'abaissais mon arme.
« Non, j'ai perdu mon frère ce jour là. ». Elle arrêta de sourire et posa ses yeux sur l'homme immobile qui sanglotait
« Lui aussi c'est mon frère, tu vas le tuer ? », puis elle se remis à pleurer. Il était paralysé, sans doute j'avais cassé sa colonne vertébrale.
« Tu m'as pas dénoncé la fois où tu m'as vu, alors je ne vais pas te tuer, comme ça on sera quittes. », elle semblait se détendre, je lui tournais le dos
« La prochaine fois que je te vois, tu seras mort. », elle avait prononcé ces mots d'un calme absolu. Je souris et m'en allai, j'avais fini ce que j'avais à faire.
« CHAPITRE CINQ, ma chute. »
J'entendais encore les cris de ma mère. Elle hurlait sur mon père et sur ces mecs qui étaient en bas. J'avais toujours mon fusil à côté de moi, mon cul posé sur la chaise du bureau de mon frère, je les attendais. J'allais sûrement passer au tribunal, faire de la prison. Mais je m'en foutais, j'avais accompli ma tâche, j'avais vengé mon frère. Il y avait ce vide aussi, comme si je n'avais plus aucune raison de vivre, comme s'il fallait que je meure, ma vie allait s'achever. J'entendis des personnes monter l'escalier, un mec avec une blouse blanche ouvrit la porte, il y avait trois flics derrière lui, leurs flingues pointés sur moi. J'entendais hurler ma mère
« NE TOUCHEZ PAS A MON FILS, CE N'EST QU'UN ENFANT, NE LUI FAITES PAS DE MAL ! », elle était devenue complètement hystérique, ma mère était une folle. Le mec à la blouse blanche s'approcha doucement de moi, comme si j'étais un animal dangereux en fuite. Il leva les mains, pour me montrer sûrement qu'il n'était pas armé, mais les trois autres flics derrière lui n'avaient pas baissé leurs armes.
« Je ne te veux pas de mal Jake, je m'appelle John, je veux juste que tu viennes avec moi. », je ris, un ricanement moqueur
« Et vous allez me faire quoi ? M'envoyer au zoo ? », un autre éclat de rire.
« Jake, ne rends pas la chose plus difficile. Tu es une personne instable, tu viens de tuer trois personnes et gravement blesser une autre, tu as besoin d'aide. », je ne souris plus. Besoin d'aide, moi ? J'étais prêt à prendre le fusil posé sur le bureau mais un des flics me gueula de ne pas bouger, je lui souris. Mon père déboula dans la chambre à ce moment là, ma mère avait cessé de crier.
« Jake, va-t-en. », il avait planté ses yeux dans les miens, son ton était désespéré.
Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans cette camionnette, mais je m'étais laissé faire. Le médecin était resté avec moi à l'arrière, il avait un nez busqué et des grosses lunettes, on aurait dit que c'était lui le fou. Il me dit quelque chose, mais je ne suis plus là, je suis parti loin, dans ce néant qui envahit peu à peu mon esprit, et je me rend compte alors pour la première fois tout le mal que j'ai fait. Mon regard se pose alors sur John, et dans un murmure je déclare
« Qu'est-ce que j'ai fait ? »« CHAPITRE SIX, ma confidence. »
Je m'étais habitué à ce fauteuil, ce bureau, cette salle. Je venais ici en moyenne deux fois tous les jours, à part le dimanche. Je faisais toutes sortes de choses, des dessins, des jeux. Je discutais avec Monsieur Will, mon psy. Il était gentil, c'était un peu le père que j'avais toujours rêvé d'avoir. C'était aussi le seul ici qui croyait en moi. Les premiers mois de la thérapie, j'étais plutôt réticent à son égard, c'est que lorsqu'il m'a donné ce livre, Nana de Zola, que j'ai beaucoup aimé, qu'on a commencé à discuter de littérature. J'ai essayé plusieurs fois de le manipuler comme je faisais avec ma mère, mais il n'était jamais dupe, alors j'ai tout simplement arrêté de lui résister. Et c'est à lui que j'ai raconté mes angoisses, mon premier baiser avec le garçon de la chambre d'à côté, mes crises de nerfs. C'est aussi le seul qui m'a offert un cadeau le jour de mes 16 ans, un livre, Adolphe, que j'ai adoré. C'est alors, quotidiennement, que je l'attend assis sur le fauteuil en face de son bureau. J'ai plein de choses à lui raconter, surtout cette fille, Lucy. Il entre dans le bureau et me sourit
« Alors Jake, comment vas-tu aujourd'hui ? », je me redresse
« Super bien et vous ? », je lui donne un de mes plus beaux sourires, il me le rend
« Je vais bien merci, tu as l'air de bonne humeur aujourd'hui. », je tapote mes mains sur mes jambes
« Plutôt oui. », il s'assit sur sa chaise
« Laisse-moi deviner, Lucy ? ». Je ricane, il me lit comme un livre
« Ouais, j'adore cette fille, elle est pas comme les autres, elle est pas conne, et elle belle et a un esprit ouvert et tout... », Monsieur Will baisse les yeux
« Jake, tu ne devrais pas trop t'attacher. », mon sourire s'évanouit
« Pourquoi ? ». Il soupire, pose le stylo qu'il avait dans ses mains
« Elle va partir à un moment ou un autre, toi aussi, elle voudra peut-être ne plus te revoir. Et puis elle ne sait rien de ton histoire, elle pourrait... » « Fermez-là. », j'avais les poings serrés, je prenais sur moi pour ne pas tout démolir dans la salle
« Elle comprendra, elle voudra me voir, je le sais, je le sais. », je me le répétais comme pour me convaincre que j'avais raison.
« Jake, tu es loin d'être stable, tu es encore dangereux pour toutes les personnes qui t'entourent, pour elle y compris. ». Je ramène mes genoux sous mon menton et entoure mes jambes de mes bras. Je sais qu'il a raison, j'éclate en sanglots,
« Je ne suis pas Josh, je ne veux pas être Josh, je veux juste être une personne normale, c'est trop demander ? », j’essuie mes larmes du revers de ma manche
« Tu deviendras cette personne normale Jake, mais il faut juste qu'on y travaille un peu plus, tu vas y arriver, j'ai foi en toi. ». Alors je pense à Lucy que j'aimerais prendre dans mes bras, caresser ses cheveux roux, lui dire que je suis complètement fou d'elle, que depuis son arrivée, j'ai l'impression de revivre, d'avoir des sentiments normaux, d'être un amoureux comme tous les hommes amoureux de cette terre. Je ravale mes sanglots,
« J'y arriverais, pour elle. ».
« CHAPITRE SEPT, mon amour. »
La lumière du jour traverse mes paupières. Je me réveille, ayant l'impression d'être dans un rêve lorsque je vois Lucy a mes côtés, mais je me rappelle alors qu'elle m'avait demandé de rester dormir avec elle. Je ne bouge pas, je ne veux en aucun cas la réveiller, je veux profiter de la vue de son visage, si parfait, et de l'odeur de ses cheveux, roux. La petite rouquine ne bouge pas, elle dort profondément, alors je me remémore la première fois qu'on s'est rencontré, un des mecs du centre, vraiment dérangé, parce que taper, pour lui, c'est jouer, voulait
« jouer » avec Lucy. J'étais venu pour qu'il la laisse tranquille, la plupart des gens me craignent ici, alors il n'avait pas bronché. Et puis la première fois que j'ai vu Lucy, elle m'a tout de suite fait penser à Nana de Zola, cette prostituée aux cheveux roux, bien que je ne lui ai jamais dit, se faire comparer avec une prostituée n'a rien de très flatteur. Pourtant elle avait comparé mes cheveux à un plat de spaghetti, ça m'avait fait beaucoup rire, j'adorais son répondant. Puis on a passé des mois ensemble, il en a pas fallu beaucoup pour que je tombe raide dingue d'elle, elle avait tout pour plaire. Et son histoire m'a touché, alors que je connaissais tout d'elle, elle ne connaissait que très peu de choses sur moi. J'avais réussi à lui dire que mon frère était mort, mais c'est tout, je ne voulais pas l'effrayer. C'est vrai, avoir un schizophrène qui a tué trois personnes et a pris la personnalité de son frère, c'est pas facile à accepter, mais je n'accepterais jamais le rejet de Lucy, c'est pour cette raison que la raison de ma présence en hôpital psychiatrique est passée sous silence. Je me remémore aussi le baiser d'hier. Il y a deux jours, elle m'avait fait la confidence qu'elle voulait fuir, ça m'avait blessé, rendu triste, comment pouvait-elle m'abandonner ? C'est à la dernière seconde que j'ai décidé d'aller la voir avant son départ. J'étais dans le bureau de Monsieur Will, j'ai quitté la séance, il n'a pas cherché pourquoi, et je ne lui ai jamais dit. Puis je suis arrivé dans sa chambre, je ne sais pas comment, mais j'ai réussi à lui dire que je l'aimais, elle avait l'air encore plus perdue que moi à ce moment-là. Puis elle m'a lâché un truc sur Hyde, comme quoi elle était encore amoureuse ou je ne sais quoi. Putain ce Hyde, un connard, une merde, j'ai des envies de meurtre quand je pense à lui et à ce qu'il a fait à Lucy, mais j'arrive toujours à me calmer, en pensant, que peut-être un jour, Lucy ne pensera plus à lui, mais à moi. Et puis je l'ai embrassé, je savais que c'était peut-être la dernière occasion. Ses lèvres, douces, j'en était déjà accro alors que j'y avais goûté qu'une seule fois. Et elle est restée avec moi, elle reste avec moi, elle ne s'en va plus. Mon regard se pose sur ses lèvres, elles sont entrouvertes, délicatement dessinées, irrésistibles. Comme un automate, je me penche vers elle et embrasse ses lèvres, l'envie de les retoucher avait gagné sur moi. Ce contact réveilla la jeune fille, d'un geste rapide, je me décalais d'elle. Elle avait les yeux ronds et regarda autour d'elle avant de poser son regard sur moi
« Tu m'as embrassé ? », l'air de rien, je regarde autour de moi
« Non, c'pas moi. », elle se redresse, un sourire aux lèvres
« Si c'est toi ! », je lève les yeux au ciel
« Je plaide coupable. », un petit rire sortit de ses lèvres, elle rougissait légèrement.
« C'est pas ma faute, n'oublie pas que je suis éperdument amoureux de toi. », je la taquine, comme j'aime le faire si souvent.
« C'est ça, dégage tête de spaghetti à la bolognaise. » elle rit en me lançant un
« C'est toi la bolognaise avec tes joues toutes rouges ! ». Elle poussa un grognement avant d'enfoncer sa tête dans un des coussins. Je me penchai pour embrasser le haut de son crâne avant de me lever. Alors que j'étais prêt à sortir
« Bah, reste. ». Je me retournai, une petite moue s'était formée sur ses lèvres. Je fis le chemin inverse et m'allongea sur son lit avant de la prendre dans mes bras. On resta ainsi jusqu'à l'heure du petit déjeuner. On parla de tout et de rien, peu de choses avaient changé entre nous, juste elle savait que je l'aimais et j'appréhendais la suite des événements. Mais pour l'instant, je profitais de ces instants précieux avec celle qui se révélera être ma force de me battre contre moi-même.
« CHAPITRE HUIT, ma sortie. »
- Citation :
- « Sinon depuis que je suis sorti, tout se passe bien. » « Tu as trouvé un logement ? » « Non, pas vraiment. Je vais quelques fois dans des maisons de jeunes, sinon je dors dehors, il ne fait pas trop froid alors ça ne me dérange pas. » « Et tu as repris contact avec des personnes ? » « A part Lucy, non, personne. Quand je marche dans la rue, personne ne me reconnaît et c'est mieux comme ça. » « Tu te sens stable, pas de crise? » « Non rien, je me sens bien, vraiment ! » « Et tu vas faire quoi ensuite ? » « Lucy m'a proposé d'habiter chez elle, j'ai refusé, elle est encore sur Hyde donc c'est dur. Sinon je pense être embauché dans un fast-food, c'est déjà ça. » « Je peux te donner un conseil ? » « Oui. » « Pars, pars loin et refais-toi une belle vie. » « Pourquoi ? » « Mais pourquoi tu restes ? Tu as vécu beaucoup d'épreuve et tu t'obstines à rester en ville, pourquoi ? » « Vous le savez. » « Dis-le moi. » « J'en ai qu'une de raison, Lucy. »